Observations sur le projet de loi pour la croissance durable et le droit au logement

Le projet de loi pour la croissance durable et le droit au logement a été transmis par le M.I. Chef du Gouvernement au Conseil général le 1er août dernier. Ce projet de loi, comme cela a été annoncé à plusieurs reprises, vise à intégrer les logements vacants sur le marché locatif par le biais de la formule de la cession obligatoire. Les articles 66 à 74 réglementent le concept de logement vacant ainsi que la procédure de cession obligatoire des logements.

À juste titre, la fonction sociale de la propriété est invoquée (art. 27.1 de la Constitution). Cependant, il convient de noter qu’il est surprenant que cet article n’ait pas été intégré dans la Loi sur l’expropriation du 3 septembre 1993, où, avec une bonne technique législative, ces articles devraient figurer. En effet, le propriétaire du logement est privé de son droit d’usage, même si cela est temporaire. À cet égard, et à titre d’illustration en droit comparé, l’expropriation temporaire de l’usage des logements aux Îles Baléares utilise les mécanismes prévus dans la loi d’expropriation.

En effet, le fait que la cession soit temporaire n’implique pas que celui qui a ce droit d’usage (propriétaire ou usufruitier) n’ait pas le droit de recevoir une indemnisation, comme la loi d’expropriation le reconnaît indirectement et qui s’applique aux locataires (qui ont un droit d’usage temporaire) selon les articles 3.2 et 23.4 de cette loi.

Il semble évident que le législateur a simplement voulu éviter d’utiliser ce terme en raison du rejet qu’il provoque en Andorre. Cependant, en droit, « le nom ne fait pas la chose » et le simple fait que la loi ne soit pas intégrée dans la Loi sur l’expropriation ne la rend pas contraire à la Constitution ou à l’ordre juridique.

Cependant, il faut procéder conformément à l’article 27.2 de la Constitution, et la limitation imposée à la propriété par la cession obligatoire doit être compensée par une juste indemnisation et en suivant la procédure établie par la loi, procédure qui doit bien sûr garantir les droits de celui qui est privé de son droit d’usage.

Dans le cas qui nous occupe, il est nécessaire d’analyser si la procédure garantit les droits du propriétaire ou du titulaire du droit d’usage. De prime abord, il ne semble pas que la notification à l’administrateur de la communauté de propriétaires remplisse cette exigence. L’administrateur ne représente pas le propriétaire, et rien ne garantit qu’il connaisse son identité ou son adresse. Par conséquent, la loi devrait prévoir que l’administrateur et la Commune (mairie) soient tenus de communiquer les données dont ils disposent sur le propriétaire, l’usufruitier ou le titulaire du droit d’usage (avec la modification conséquente de la loi sur la protection des données) et ensuite notifier nécessairement l’acte administratif à l’intéressé et finalement décréter sa publication par édits, en indiquant toujours les recours administratifs et judiciaires existants. Autrement, les droits de l’intéressé sont violés.

La loi sur l’expropriation prévoit toujours l’intervention d’un juge des expropriations et du ministère public dans plusieurs cas, mais le projet de loi ne prévoit que l’intervention de l’administration.

Par ailleurs, le montant de la compensation économique à recevoir par le propriétaire dépend du loyer à prix abordable approuvé par le Gouvernement pour le logement en question. Il ne semble pas cohérent que ce prix ne soit pas annoncé au début de la procédure administrative, même à titre informatif. Il en va de même pour le coût de l’adaptation du logement, qui ne pourra être fixé qu’après avoir accédé au logement. Nous estimons que ne pas communiquer ces éléments à l’intéressé porte atteinte à son droit de décider en connaissance de cause.

Et nous tombons ici sur un autre point du projet de loi qui n’a pas été bien analysé d’un point de vue constitutionnel : le montant à percevoir en compensation. Il est évident que ce n’est pas le loyer payé par l’occupant adjudicataire, car le titulaire exproprié n’a aucune relation juridique avec lui.

Tout d’abord, il est surprenant que, s’agissant d’une expropriation temporaire du droit de propriété, l’indemnisation soit versée par tranches et non au moment initial où l’administration prend possession, comme le prévoit la loi d’expropriation et la Constitution elle-même, car la privation du droit se fait par une juste indemnisation.

Toutes ces différences entre une expropriation réalisée avec toutes les garanties, conformément à la loi d’expropriation, et celle prévue dans le projet de loi, peuvent susciter des doutes quant à la constitutionnalité de ce projet de loi.

De plus, il se trouve que le montant du loyer à prix abordable dépend de la situation économique de l’adjudicataire (locataire) et qu’il ne pourra jamais dépasser 75 % du prix du marché (article 3.1 de la Loi 30/2021 et 12.7 du Règlement 115/2024) et probablement, conformément à l’article 2.3 de la Loi 24/2023, il était de 6 euros par mètre carré de logement en 2023.

Ces prix (notablement inférieurs aux prix du marché) pour des logements qui, le cas échéant, seront rénovés, peuvent-ils être considérés comme une juste indemnisation ? Nous estimons que ce n’est en aucun cas possible. En Andorre, les indemnités liées à une expropriation doivent compenser tous les préjudices. À partir du moment où le montant à percevoir par le propriétaire est inférieur au prix du marché, cette exigence n’est pas remplie et cet aspect de la loi devient inconstitutionnel.

Mais un autre problème est l’égalité entre les propriétaires. Au lieu de fixer des critères communs selon lesquels chaque propriétaire exproprié reçoit une compensation en fonction des caractéristiques du logement, celle-ci dépendra de la capacité économique de l’adjudicataire de la cession, car rappelons-le, 75 % du prix du marché est une limite maximale. Par conséquent, en fonction de la capacité économique de l’adjudicataire, le propriétaire recevra un loyer différent.

La loi omet également d’autres aspects, tels que le cas où l’adjudicataire détériore le bien cédé ou refuse de partir à la fin du délai. Il est évident que c’est au Gouvernement d’indemniser à nouveau le propriétaire, même si l’adjudicataire est tenu de souscrire une assurance dont le non-paiement n’est pas expressément mentionné comme motif de résiliation du contrat et qui peut ne pas couvrir tous les préjudices.
Un autre aspect controversé est que le propriétaire doive rembourser au Gouvernement les dépenses qu’il a engagées pour aménager le logement (art. 72.1 b) du projet de loi). Avec des loyers aussi bas, il est probable que si le logement n’est pas en bon état, le coût des travaux n’ait pas été couvert pendant la durée du contrat. Ainsi, le propriétaire aura contracté une dette envers le Gouvernement d’Andorre.

Le montant des travaux est inconnu au moment où le mécanisme de cession d’usage est activé et la durée des travaux ne nuira qu’au propriétaire. Il est évident que le propriétaire se trouve dans une situation de totale impuissance face aux décisions de l’administration.
Par ailleurs, la disposition ne correspond pas à ce qui est prévu dans la Constitution, car c’est le propriétaire qui doit être indemnisé en cas d’expropriation, et non l’administration par le propriétaire, même si l’administration apporte des améliorations au bien. Par conséquent, nous estimons que la procédure ne peut en aucun cas obliger le propriétaire à payer un quelconque montant.

En conclusion, nous estimons, dans cette réflexion initiale, que le projet de loi contient suffisamment d’éléments contraires à la Constitution pour revoir en profondeur le texte soumis au Conseil Général et procéder aux renvois nécessaires à la loi d’expropriation. En effet, la cession obligatoire de l’usage des logements est possible et constitutionnelle en Andorre, mais en partant du principe qu’il s’agit d’une expropriation temporaire du droit de propriété.

Enfin, nous ajouterons que, même si cela peut être constitutionnel, il convient également de réfléchir à son opportunité. Il existe d’autres politiques bien plus bénéfiques pour mettre des logements à prix abordable sur le marché. Celles-ci passent par une collaboration public-privé dans laquelle les titulaires de terrains publics mettent ceux-ci à disposition gratuitement et les capitaux privés investissent dans la construction, obtenant en contrepartie un droit de superficie ou similaire de durée temporaire et fixant les prix maximaux pour la location ou la vente du droit à un tiers. À coup sûr, des rendements modérés mais de longue durée attireront les capitaux nécessaires.

Enfin, compte tenu des montants des investissements nécessaires pour résoudre la question du logement, tout capital, national ou étranger, devrait être le bienvenu.

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